Conseils d’administration : remettre la chaîne de valeur au cœur de la stratégie durable
Alors que les entreprises font face à des bouleversements économiques, géopolitiques et climatiques sans précédent, le Conseil d’administration devient un véritable acteur de la transformation durable. APIA accompagne les administrateurs dans cette évolution en favorisant le partage d’expériences et la diffusion des bonnes pratiques. Un éclairage de Yann de Feraudy, Président de France Supply chain et administrateur indépendant sur la nécessité de replacer la chaîne de valeur au cœur des décisions stratégiques.
Dans un monde secoué par les conflits, la volatilité géopolitique, la pression réglementaire et l’exigence du « résultat » les entreprises ont rarement été aussi « malmenées » et l’urgence climatique passe parfois en seconde priorité. Face à ces bouleversements, les Conseils d’Administration et membres doivent, plus que jamais, conjuguer performance immédiate, responsabilité sociétale et respect de l’environnement pour préparer l’avenir.
Dans ce contexte, la réussite ne peut plus se mesurer exclusivement à l’aune des résultats (par essence court terme), mais à la capacité d’anticiper les crises, gérer les aléas, intégrer les enjeux technologiques tout en tenant compte les enjeux planétaires, humains et normatifs, afin de guider l’entreprises sur le chemin de la pérennité.
C’est dans ce contexte que les Conseils d’Administration devraient se préoccuper davantage de leur chaîne d’approvisionnement ou « Supply Chain ». Pourquoi est-ce un sujet pour les administrateurs ? Trois raisons principales :
- Parce que la fragmentation géopolitique, les pénuries de matières et les crises à répétition ont un impact direct sur la performance voire la pérennité des entreprises.
L’exemple de Porsche, contraint en 2024 de baisser sa production à cause d’une pénurie d’aluminium (générée par des intempéries avec sinistre, d’une de ses fournisseurs Suisse…), a montré combien la solidité des chaînes d’approvisionnement influence la performance économique, avec une chute de près de 24 % de son résultat.
- Parce que les Supply Chains, prises au sens « Chaînes de Valeurs » (Achats – Production – Logistique) représente 60 à 80% de la structure de coûts d’une entreprise, plus de 85% de l’empreinte Carbonne (à travers le Scope 3) et jusqu’à 40% de l’EBITDA (EBE) comme le montre l’exemple de Porsche.
- Parce que l’analyse de la Chaîne de Valeur permet d’englober transversalement les Fournisseurs, l’Entreprise et ses Clients, donnant ainsi une vision 360° des risques et opportunités, ce qui permet une démarche RSE cohérente.
Cette tension entre le court et le long terme génère une intégration difficile de la RSE, longtemps perçue comme sujet d’expert, hors du cœur stratégique de l’entreprise. Un constat partagé par de nombreux conseils d’administration, où la diversité des attentes (dirigeants, banquiers, parties prenantes) complexifie la gouvernance des indicateurs extra-financiers.
De fait le débat se poursuit souvent sur l’intérêt de créer un comité ad-hoc ou de concentrer le sujet sur un membre du conseil qualifié d’expert. Si le dernier baromètre IFA-EThic&Boards de la gouvernance responsable de septembre 2025 mentionne que 88% des société du SBF120 ont un comité RSE (40% un comité dédié et 48 un comité combiné), nous savons qu’il n’en sera pas de même dans les ETI/PME, il reste que le sujet doit être pris en main par le conseil.
Reporting, normes et indicateurs : outils de crédibilité et de transformation
Comment faire ? Tout d’abord s’intéresser à la chaîne de valeur, en prenant comme premier axe la décarbonation à la source : questionner, challenger la Direction pour produire et transporter au plus juste, limiter les flux inutiles, sélectionner, accompagner et collaborer avec les fournisseurs / partenaires. C’est du reste ainsi que l’on peut réaliser des gains rapides, grâce à une démarche RSE « pragmatique » et opérationnelle.
Ensuite, « Ce qui se mesure est managé » disait Peter Drucker. Les acteurs s’accordent pour dire que les indicateurs sont utiles… Leur normalisation l’est aussi, ne serait-ce que pour éviter le « greenwashing » et pouvoir se comparer.
La CSRD, pivot européen, devait entraîner les grandes entreprises et progressivement leur écosystème PME et ETI… Nous verrons ce qu’il en restera. Une chose est certaine, la majorité des acteurs qui ont produit leur premier rapport de Durabilité ne souhaite pas revenir en arrière.
Mais « l’échec de la CSRD » à aligner des besoins multiples et à apporter des indicateurs pertinents pour tous doit nous conduire vers une « normalisation intelligente » : simplifier l’accès aux données sans sacrifier l’ambition, pour embarquer PME, ETI et même les acteurs non européens.
Les exigences de preuve sur le scope 3, la mesure de l’impact réel (et non seulement des intentions) ou les trajectoires validées nourrissent un dialogue nouveau avec l’ensemble des parties prenantes.
En effet, la lutte contre le greenwashing constitue aussi un enjeu central. Les outils d’évaluation (plateformes d’exposition au risque climatique, standards ADEME, Carbon Disclosure Project ou SBTi) doivent intégrer les doubles dimensions de la décarbonation et de la stratégie d’adaptation, tout en restant transparents et communicables. Les nouveaux modèles d’indicateurs doivent être conçus pour éviter la simple conformité de façade, et nourrir un pilotage stratégique authentique de la transition. Car ce côté opérationnel est ce dont nous avons besoin, en particulier dans les petites et moyennes structures.
Une nouvelle approche des risques
Le rapport quinquennal de L’Agence Européenne de l’Environnement (AEE) publié début octobre 2025 montre une dégradation préoccupante de l’environnement. Toutes les régions sont touchées, ainsi le stress hydrique n’est-il plus le sujet de l’Europe du Sud, la Belgique, les Pays-Bas ou le Danemark sont, eux aussi concernés. Les conséquences économiques se font sentir dans l’agro-alimentaire (récolte et cours des matières) mais aussi en termes de destruction d’actifs par des évènements climatiques plus sévères et plus fréquents.
« Un monde à +4 degrés ne serait plus assurable » affirmait en 2015 Henri de Castries alors président d’Axa. Or, avec une trajectoire de hausse des températures entre +2 et +3°, l’Europe et singulièrement la France serait dans les +4°.
C’est pourquoi les Administrateurs sont fondés d’interroger le management sur sa stratégie de décarbonation mais aussi sur sa stratégie d’adaptation au changement climatique, il en va de la protection des actifs et de la pérennité moyen terme de l’Entreprise. Chemin faisant cela ouvre, aussi, des opportunités à développer
Conclusion : Héritages et légitimité des chaînes de valeur
L’enjeu de beaucoup d’ETI / PME c’est la transmission aux générations suivantes, et donc l’héritage.
Dans tout héritage il faut commencer par recevoir, car on ne peut pas changer l’héritage, et dans notre cas nous héritons d’un monde très « gourmand » qui ne reconnaît pas de limite à son développement.
Il faut parfois trier, car il y a des choses dont on ne veut pas, ou dont on ne veut plus… Autant on peut assumer certaines choses du passé autant on n’est pas obligé de cautionner… Malgré les coups de mentons outre-Atlantique, beaucoup d’initiatives sont déjà en cours et apportent des résultats tangibles économiquement, la sobriété paye toujours. Comme aimait le répéter Geoffroy Roux de Bézieux « les loups sont toujours maigres »
L’enjeux est d’emmener à leur suite tous les acteurs y compris les plus petites entreprises, c’est ici que le concept de Supply Chain prend tout son sens : tous les maillons doivent être au diapason. Nous pourrons ainsi transmettre des modèles économiques plus vertueux aux générations futures.
En tant qu’Administrateur, l’un de nos rôles les plus importants est de créer de l’espoir et de partager votre vision du futur
Yann de Feraudy,
Membre APIA, Président de France Supply chain et administrateur indépendant
