La PME face à la transformation digitale. Le rôle de la gouvernance

On a coutume de dire que le dirigeant de PME/ETI est souvent bien seul face aux décisions qui engagent l’avenir de son entreprise. Ce constat est d’ailleurs une raison suffisante pour réfléchir à la place que pourrait occuper un conseil d’ administration à ses côtés, et au sein de ce conseil un ou plusieurs administrateurs indépendants. Mais il est un domaine où cette solitude est encore plus marquée, c’est celle de la transformation digitale de l’entreprise, où le caractère flou des définitions et l’aspect fortement évolutif des concepts s’ajoutent à la faiblesse des conseils traditionnels de l’entreprise dans ces domaines. APIA et les administrateurs indépendants développent une réflexion sur ces sujets, en partant des domaines traditionnels d’interaction entre le dirigeant et son conseil d’administration / ses administrateurs indépendants, et en braquant les projecteurs sur les aspects de transformation digitale.

Revenons à la stratégie

Le rôle du conseil d’administration et de l’administrateur indépendant dans le questionnement de la stratégie de l’entreprise n’est plus à démontrer. Si l’AI doit en principe se garder de tout rôle opérationnel dans l’élaboration de la stratégie, qui est de la responsabilité de l’équipe de direction, il joue en revanche un rôle important dans les étapes d’orientation et de validation de la stratégie, de l’approbation des décisions stratégiques, du suivi de leur exécution, et enfin de l’appréhension des risques et opportunités.

Le projet stratégique d’une entreprise s’appuie sur le triptyque « vision / mission / valeurs » qui est la base commune entre le conseil d’administration et l’équipe dirigeante, et qui à ce titre est réputée être partagée et appropriée par l’ensemble des parties en présence. On est donc dans des espaces connus, bien loin des concepts de transformation digitale ou numérique, d’intelligence artificielle et autres systèmes partagés ou propriétaires.

En revanche, le digital peut avoir un impact sur la vision stratégique que le dirigeant a pour son entreprise : le digital peut bouleverser l’environnement de l’entreprise (clients, fournisseurs, concurrents, nouveaux entrants, légal et réglementaire) en affaiblissant ses barrières à l’entrée (par exemple la connaissance traditionnelle du client, dépassée par une connaissance dopée par l’IA), en remettant en cause son modèle économique (pensons à toutes les fonctions d’intermédiation sans réelle valeur ajoutée), en créant des effets de taille critique à laquelle elle n’est peut-être pas préparée (les investissements en transformation digitales peuvent dépasser les moyens de l’entreprise ou présenter des risques supérieurs auxquels le dirigeant est d’habitude confronté, des ROI plus incertains, etc.), voire en remettant en cause sa place dans la chaîne de valeur (nouvelles voies accès au produit / au service, cannibalisation amont ou aval d’acteurs plus digitalisés). A l’inverse, chacun de ces risques représente une opportunité pour autant que l’entreprise sache l’identifier et la saisir. L’enjeu stratégique de la transformation digitale pour le dirigeant de PME est d’ailleurs d’identifier ces risques et opportunités potentielles, et d’apporter les réponses appropriées. L’administrateur indépendant contribue par ses questions à identifier les problématiques, à orienter et valider les solutions envisagées, à mettre en place le suivi correspondant.

Domaines impactés par la transformation digitale

Toutes les sphères de l’entreprise sont concernées par la transformation digitale. Elle est ainsi un domaine transversal par excellence, ce qui fait tout son intérêt, sa complexité, et donne la mesure des leviers qu’elle peut mobiliser. On va voir que la donnée « pure », non redondante, unique, correctement identifiée, stockée et mobilisée, est au cœur du processus.  Donnons quelques exemples de ces domaines de l’entreprise concernés par la transformation digitale, tirés du commerce, de la productivité administrative, des RH, de la comptabilité :

Le digital permet d’effectuer des tâches plus rapidement, plus efficacement, et, pour les plus manuelles d’entre elles, à moindre coût. Il en va ainsi du traitement de la donnée, mais aussi de la connaissance du client, qui peut, grâce à l’historique de l’entreprise correctement identifié, structuré et mobilisé, donner un avantage considérable en termes d’expérience client, de satisfaction, de fidélisation, et donc de pérennisation de la relation. A l’inverse, une digitalisation non menée peut amener des pertes relatives de compétitivité brutales : un concurrent apporte le même service, beaucoup plus efficacement. Dans certains cas, la transformation digitale permettra de faire face, par l’automatisation, à la pénurie de personnel qui devient une problématique récurrente des PME. La question peut ainsi rapidement évoluer de « faire plus ou moins efficacement » à « faire ou ne pas faire », et donc, potentiellement, à laisser échapper des opportunités. Enfin, des systèmes souvent « en silo » et peu digitalisés comme la comptabilité, parfois limitée à ses purs aspects réglementaires et légaux, sont notoirement sous-utilisés en termes de suivi de l’activité, voire de RSE, et questionnent sur l’efficacité administrative de cette partie de l’entreprise et sur sa capacité à fournir de la donnée.

Explorer l’entreprise sous l’angle du digital amène ainsi à s’intéresser non seulement aux systèmes d’information (sous l’angle du risque d’obsolescence, de l’interopérabilité entre systèmes, de la couverture par les systèmes des processus de l’entreprise), mais aussi et surtout sur la cohérence entre ces systèmes, les processus, le management et l’organisation humaine de l’entreprise. Un système « plaqué » sur des processus figés et une organisation humaine non repensée ne pourra conduire qu’à l’échec d’une transformation digitale trop étroitement réfléchie. En corollaire, on peut postuler que la transformation digitale de l’entreprise aura nécessairement des conséquences importantes sur ses processus et son organisation humaine, voire sur son management. Citons par exemple le processus d’acquisition de nouveaux clients, la gestion de la relation clients, sans parler bien évidemment des nécessaires adaptations de postes par suppression des interventions manuelles là où les chaînes d’unicité de données étaient rompues précédemment. Il est probable que les KPI devront aussi être adaptés, en profitant d’ailleurs au passage de la plus grande homogénéité et cohérence des données procurée par les évolutions digitales. Il appartiendra ici au dirigeant, en liaison avec son conseil d’administration, d’identifier les domaines d’action prioritaires, et de proposer un plan d’action soumis à validation et suivi par le conseil.

RSE, transformation digitale et sobriété numérique

S’intéresser à la transformation digitale conduit, on l’a vu, à reconsidérer le management et l’organisation humaine. On touche ici mécaniquement à l’organisation du poste de travail, à l’autonomie accordée au collaborateur, à l’intérêt des tâches qui lui sont confiées, à son intégration dans les processus de l’entreprise, à sa compréhension de ces processus, au « bonheur au travail », à sa motivation et son engagement. Nous sommes ici très proches des sujets touchant à la responsabilité sociale / sociétale des entreprises. Au-delà de la nécessaire cohérence processus/systèmes/organisation humaine évoquée précédemment, ce sont sans doute dans ces aspects « soft » que l’on doit chercher les gains de productivité et d’engagement personnel à mettre en face des coûts de la transformation digitale. Combien de collaborateurs sont simplement écrasés par le poids de tâches manuelles et répétitives dont le sens s’est perdu au cours des années ! Un administrateur indépendant qui a déjà vécu ce genre d’expérience pourra sans doute interpréter plus facilement, à travers les « signaux faibles » émis par l’entreprise, ces gisements de productivité de d’affectio societatis.

La transformation numérique est aussi l’occasion pour l’entreprise de s’interroger sur ses politiques en termes d’équipements numériques, et de couvrir ainsi l’aspect environnemental de la RSE. Ce sont les 5R : Refuser ce qui génère un impact environnemental non indispensable (par exemple en conservant 2 ou 3 ans de plus un ordinateur), Réparer les équipements plutôt que de les remplacer, Réemployer en préférant le conditionné, Recycler les appareils en s’assurant qu’ils ont une deuxième vie, Raisonner ses achats en vérifiant l’impact énergétique des produits, choisir des équipements en fonction de leur mode de fabrication éthique et durable.

Enfin, la sobriété numérique passe aussi par un ensemble de bonnes pratiques des collaborateurs, comme limiter le nombre de courriels, leur poids, leur diffusion, leur durée de conservation, les pièces jointes (auxquelles on préférera un lien). De la même manière on préférera des sites Internet à peine moins performants, mais nettement moins gourmands en termes de ressources à mettre à disposition. Dans le domaine des logiciels, on en profitera pour intégrer les exigences de traçabilité carbone dans le traitement en standard des flux de l’entreprise, plutôt que de générer dans quelques années une nouvelle verrue coûteuse. Ici aussi, un conseil d’administration attentif mettra ces sujets à l’ordre du jour, et provoquera une réflexion bienvenue auprès des équipes dirigeantes.

En conclusion

Pour APIA, la meilleure façon d’aborder la question de la transformation numérique en entreprise est de traiter le sujet en empruntant un parcours familier au dirigeant dans ses relations avec ses administrateurs : aborder le sujet sous l’angle stratégique. C’est d’ailleurs nécessaire eu égard aux multiples implications stratégiques du digital.

Le questionnement du conseil mettra certainement en évidence de multiples domaines où un besoin d’action digital est identifié. Il appartiendra alors de tracer les périmètres possibles d’intervention, de les prioriser, d’en estimer les risques et opportunités, pour finalement retenir un ou plusieurs chantiers d’action stratégiques digitaux.

Le conseil veillera en particulier à ce que les aspects de processus, d’organisation humaine et de management soient traités en étroite cohérence avec les aspects purement système. Le rythme et les méthodes d’interaction du conseil (régularité et espacement des rencontres, validation, KPI, suivi, tableau des risques) convient bien à ce type de projet. La dimension RSE fait partie intégrante du projet.

François de Chiara

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